ADIEU À MARIELLE (29 Mars 2024)
Quand la nouvelle du décès de Marielle a été connue, chacun d’entre nous a fait part de sa surprise et de son profond chagrin. On savait que Marielle avait une santé fragile mais aussi qu’elle était suivie.
Le 15 janvier, après un petit malaise, elle partait pour un contrôle en cardiologie à l’hôpital Georges Pompidou, de retour chez elle le 17. Trois jours plus tard, se plaignant de violentes douleurs aux jambes, elle est admise en urgence à Lariboisière. Après un diagnostic imprécis et un traitement supposé efficace, on l’envoie aux Lilas en rééducation. Très affaiblie par ses traitements, elle revient à Lariboisière le 29 février. Puis toujours très affaiblie, elle nous adresse un mail le jeudi 14 mars à midi nous informant qu’elle part pour l’hôpital Georges Pompidou. Alors qu’elle nous postait chaque jour plusieurs mails et plusieurs SMS, à partir de ce moment, plus rien. C’est finalement son fils Frédéric qui nous annoncera son décès survenu le mardi 19 mars.
Chers amis, vous êtes très nombreux ce matin. Sachez aussi que nous avons reçu des dizaines et des dizaines de témoignages d’affection, d’admiration, de complicité et de respect d’amis qui n’ont pu être présents. Et aussi des messages des associations et confréries amies de Montmartre et d’ailleurs et aussi des communes libres de France, de Suisse et de Belgique dont beaucoup sont représentées aujourd’hui. D’autres amis viendront évoquer Marielle. Georges Val, l’Amiral, un des plus anciens membres de la Commune Libre ; et puis Michèle Barbier qui a partagé avec elle bien des aventures artistiques; enfin Bernard Beaufrère nous lira un poème de Marielle.
Marielle-Frédérique TURPAUD, c’était un personnage, un sacré personnage comme on en a connu sur la Butte depuis des décennies. Madame le Maire de la Commune Libre de Montmartre, attention Madame LE Maire, pas la Maire, sinon vous vous faisiez reprendre vertement. Car derrière cette bonhommie toute en rondeurs, cet humour parfois grinçant, il y avait une femme de conviction et de caractère.
On se souvient de sa silhouette avec sa casquette, longtemps une casquette de marin, celle de son père chansonnier puis plus récemment une casquette de « gentlewoman farmer ». Et puis sa canne depuis son accident cérébral de 2014. C’est vrai que déjà depuis quelques années elle ne faisait plus de promenade dans Montmartre, qu’elle ne faisait plus visiter la butte, ses coins et ses recoins, avec toutes ses anecdotes. et que ça lui manquait énormément.
Bien malin, celui qui pourrait aujourd’hui faire un portrait complet de Marielle. Sa remarquable érudition, son sens de l’à-propos, son sens artistique, son sens de l’humour, ses amitiés dans des milieux les plus divers, tout comme ses multiples engagements, parfois surprenants, apparemment contradictoires. Sa spiritualité foisonnante en tous lieux.
Catholique pratiquante et auteur d’un ouvrage de référence sur le tarot de Marseille ? Elle l’était, c’était ainsi. Admiratrice de Louise Michel et de Sainte-Thérèse de Lisieux. Alliance improbable de Pierre Dac et de Saint-Vincent de Paul, d’Alphonse Allais et du Pape François, du Sacré-Cœur de Jésus et de la Commune de Paris. Tout cela c’était Marielle, notre Marielle.
Marielle à l’Académie Alphonse Allais. Marielle dame chanoinesse de la Confrérie du Baillot Bordelais. Marielle membre de la Confrérie des Chevaliers du Tastefesses. Marielle fan inconditionnelle de Johnny Hallyday. Marielle au Café-philo le dimanche après-midi. Marielle au Père Lachaise le 1er mai devant le mur des fédérés avec les Amis de la Commune de Paris et ses copains anarchistes. Marielle chez Michou. Marielle à l’inauguration de la statue du Chevalier de la Barre. Marielle avec les Compagnons du Beaujolais, les Francs-Mâchons de Paris, la Grappe Yerroise, etc.
Soulignons qu’appartenant à des cercles variés comme nos associations montmartroises où l’on côtoie des personnes de toutes origines, de toutes opinions, jamais elle n’y a imposé ses propres convictions, jamais elle ne nous a incités à partager ses propres engagements.
Je retiens qu’elle a toujours recherché la Concorde et l’Harmonie. Ainsi elle a toujours refusé de se mêler des antagonismes locaux. Elle n’exigeait pas de préséance particulière sauf celle liée à ses fonctions, mais elle exigeait le respect, comme elle respectait les autres.
Femme d’une grande sensibilité, elle combattait la bêtise, le fanatisme et l’hypocrisie. Le terrible attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, où elle perdit plusieurs de ses copains dessinateurs, fut un choc personnel, d’autant plus fort qu’elle était elle-même alors hospitalisée après son accident cérébral survenu en novembre 2014.
Femme aussi d’un grand courage, car elle se releva avec persévérance de cet accident cérébral. Il restait encore quelques difficultés à la marche et quelques petites séquelles de prononciation, mais elle avait rapidement retrouvé la pureté du trait de son dessin, ce dont elle était très fière.
Marielle et sa Commune Libre. Elle en devint le maire en décembre 1998 après le décès de Jehan Mousnier qui avait été maire des deux Communes Libres, au total pendant 17 ans. Si elle acceptait la succession de son prédécesseur, elle ne revendiqua pas l’héritage du climat conflictuel avec l’autre Commune Libre, celle du Vieux Montmartre. Elle rechercha au contraire une relation apaisée et y parvint avec l’appui de Roger Dangueuger, alors président du Syndicat d’initiatives.
Pendant 25 ans elle a contribué à l’animation de la Butte Montmartre, imaginant des soirées musicales, des fêtes et même des canulars. Ainsi, avec l’aide de Radio Monte-Carlo, Marielle réalise un duplex avec les États-Unis, pour interviewer un soi-disant riche américain qui vient d’acheter le Moulin de la Galette et qui prévoit de le démonter pièce par pièce pour le remonter sur les collines d’Hollywood. Tout ceci se passant bien entendu un 1er avril.
Beaucoup d’entre nous ont gardé précieusement ces petits dessins qu’elle faisait à chaque fois où nous nous réunissions : dessin des Poulbots, du Chat Noir, du Lapin Agile. Mais également des personnages du moment, des convives, des artistes, des garçons du restaurant, avec des légendes pleines d’humour. Et puis les portraits-caricatures qu’elle faisait pour les cartes d’identité des citoyens de la Commune Libre.
Elle a largement contribué à la réalisation de notre ouvrage « La fantastique histoire des Communes Libres de Montmartre » paru en 2020, en particulier par ses illustrations originales, sa mémoire infaillible et ses conseils avisés.
Marielle écrivait, écrivait sans cesse. Elle a publié plusieurs ouvrages, illustré des recueils de poèmes, dessiné des affiches, rédigé des articles et écrit des poèmes. Il était habituel qu’elle imagine un poème de circonstance pour chaque événement. Ainsi chaque année, lors du ban des vendanges, elle nous livrait un poème original sur le thème de l’année. Il commençait à chaque fois par un préambule largement inspiré du style oratoire de notre compatriote Pierre Dac.
Après avoir interpellé
Monsieur le maire du XVIIIe arrondissement, mon estimé homologue,
puis les représentants des associations et confréries présentes avec une pluie de qualificatifs et de superlatifs, elle s’adressait à
Mon garde-champêtre,
Mon général,
Ma sœur.
Marielle vient de nous quitter brutalement le 29 ventôse 232 de l’ère républicaine, jour du frêne et veille du printemps, alors qu’elle avait de nombreux projets en tête.
Le retour au Lapin Agile, pour célébrer les 104 ans de la Commune Libre, le 11 avril prochain, soirée que nous dédierons à notre chère Marielle.
Des cérémonies de mariages montmartrois qu’elle devait célébrer le 1er juin prochain dans les vignes du Clos Montmartre.
Le cinquantenaire de notre filleule, la Commune Libre du Bouffay à Nantes en septembre prochain.
La relance des soirées artistiques du Bon Bock, dont la prochaine sera la 560ème édition et dont nous fêterons l’an prochain le 150ème anniversaire avec une exposition.
Et le projet de jumelage de Montmartre et sa Commune Libre avec le Vieux quartier de Chicago. Sa présence le 4 janvier à la rencontre avec nos partenaires américain et français du Cabaret Connexion fut sa dernière participation officielle.
Hélas, nous n’entendrons plus le sifflet qui nous rappelait à l’ordre ni ce rire sonore et spontané. Car Marielle était très gourmande et aussi bon public, surtout à l’écoute des chansonniers et des humoristes.
Gageons qu’elle a rejoint les anges qu’elle dessinait si délicatement.
Jean-Loup BOUVIER – 29 mars 2024