La rue Dimey (poème de Marielle-Frédérique Turpaud) – 30 mars 2001

Montmartre : LA RUE DIMEY


Conclusion de mon discours d’inauguration de la rue Bernard Dimey, le samedi 30 mars 2001
Voilà bientôt trente ans que je me bernardise
Avec tout ce qu’on glane au rebord du bistro,
On se saoule de vin et de l’alcool de mots
Servis dans tes chansons à la musique exquise.
Les nuits que j’ai passées accroché au comptoir
Hirondelle perchée sur le fil d’un bordeaux
A rebâtir le siècle et lancer des bateaux
Vers Saïgon perdue ou vers Alger le soir…
Ces nuits sans avenir débordaient de projets !
Nos cartons à dessins renfermaient des merveilles :
Ce visage à fond bleu, au sourire d’abeille,
C’est le soleil saisi, c’est le trait pur trouvé !
Et nos poches bourrées de carnets ou de feuilles
Les mots enfin parfaits dans la page froissée :
Voilà un prix Goncourt ! et voilà LE sonnet !
Voilà une chanson que la voix cassée cueille…
De bordeaux en bordeaux les ballons nous soulèvent,
On plane par-dessus la fringale et le froid.
On est mieux que fauchés : on a le monde à soi !
Et rien n’est plus réel que ce flou que l’on rêve…
On te lisait, Bernard, on fredonnait Ferré
Et puis Brel, Aragon, et puis d’abord nous-mêmes !
On vidait un à un tous les vers du poème
On était ivres-vifs de pinard et d’idées !…
Quand on sortait dehors, sur le pavé de pluie,
Certains soirs on voyait passer la station MIR !
On leur faisait : « Coucou ! Hé ! ça va ? Vous, partir ? »
On ne parlait pas russe et ils n’ont rien compris…
Et l’aube nous jetait sur un banc de colère :
« Je n’aurais jamais dû avancer en F3 ! »
« Le métro est fermé. » « Tiens ! c’est drôle : j’ai froid »
« Je suis sûr que Le Rhin c’est dans Apollinaire… »
Voilà bientôt trente ans que je me bernardise
Maintenant tu es mort : tu as un nom de rue !
Est-ce bien le Bernard Dimey que j’ai connu
Dans son col roulé gris, dont la poésie grise ?
Voilà trente-cinq ans que le Temps des Cerises
Accompagne ma rage et mon cri de tombeau
Mais au moins, grâce à toi, sous le pont Mirabeau
Je sais que désormais y coule la Tamise.

Jeudi 29 mars 2001, dans le bar des 2 Moulins rue Lepic
Marielle-Frédérique Turpaud