La Commune de Paris (1871) par Jehan Mousnier

LA COMMUNE DÉCRITE PAR JEHAN MOUSNIER

En octobre, après l’échec de la sortie du Bourget et la capitulation de Metz, le peuple apprend les négociations de paix et, au nom de la Patrie, réclame la démission du gouvernement.

L’entrée des Prussiens à Paris est prévue pour le 27 février. Le peuple de Montmartre s’en va récupérer les canons pour lesquels il a souscrit de ses deniers, et à bras d’homme le hisse sur la Butte. D’autres, de Belleville et des Buttes-Chaumont, en font autant. Mais c’est à Montmartre que tout commence.

A peine entrés dans Paris le 1er mars, les Prussiens en sortent le lendemain. Quinze jours plus tard, à Versailles où il s’est réfugié et où s’est installé Victor Hugo, Thiers prend peur. Peur que les canons de Montmartre soient dirigés contre l’armée. Ordre est donc donné de les récupérer. La troupe, le 88ème de ligne semble-t-il, est chargée de la mission. Elle s’en vient donc, à pied, gravir les pentes de la colline montmartroise. Sans attelage, comment redescendre les lourdes pièces hissées patriotiquement ? En attendant l’arrivée des attelages réclamés à l’Autorité, les soldats forment des faisceaux. Ils prennent langue avec la population. Les canons sont dans le « champ polonais » venant de Montceaux et de Passy. Quatre-vingt-quinze canons et soixante-seize mitrailleuses ou cent trente-sept canons selon d’autres sources. Depuis dix jours, les gardes nationaux se sont institués garants de ce matériel et, de surcroit, ils refusent de les remettre entre les mains de la troupe envoyée par le gouvernement. Le 18, au petit matin, le général Susbielle, à la tête de six mille hommes, toujours sans attelage, s’en vient pour les récupérer. Ils ne ramassent que des coups, s’égarent dans les fausses manœuvres et reprennent dix canons. Le général de brigade du 88ème, Jules Lecomte, et quelques officiers, lâchés par leurs hommes, sont arrêtés rue Muller et conduits au Château-Rouge. De son côté le général Clément-Thomas, nommé en novembre 1870 commandant de la garde nationale, est en civil, boulevard Rochechouart, lorsque, selon Vallès, un gamin demande à son père :

— Papa, c’est-il pas ce monsieur-là que tu nous as montré l’autre jour, celui qui dit que les gardes nationaux c’étaient tout de la canaille et des pochards ?

Clément-Thomas, ainsi reconnu, est assommé coups de crosse place Pigalle. Il lui était reproché d’avoir dissout le bataillon de tirailleurs de Belleville en décembre 1870, pour indiscipline, d’avoir fermé les portes de la ville le 95ème jour du siège et surtout les « clubs » sur l’ordre du général Vinoy, successeur de Trochu comme général en chef de l’armée de Paris. Sans doute pour le récompenser de la répression des émeutes de 1848 !

Le comité de Légion du 18ème arrondissement ne sié­geait pas à Château-Rouge, mais à la mairie (place des Abbesses). Lecomte est transféré au poste de la rue des Rosiers (du Chevalier-de-la-Barre). Prévoyant sur les informations qu’un drame se préparait, le Comité se déplace en effet rue des Rosiers. Le maire, Georges Cle­menceau, arrive après l’exécution de Lecomte. Il est très mal reçu, si l’on en croit Léon Daudet :

Il se revoyait, lui, Clemenceau, courant çà et là, appelé rue des Rosiers, où des bougres en uniforme, la crosse en l’air, des déserteurs… avaient enfermé les deux généraux, lui Clemenceau hué, conspué, bousculé, menacé de très près,…

Contrairement à la légende, seul Lecomte aurait été exécuté. Thomas serait mort des suites des coups de crosse. Un témoin du temps écrit avoir visité les lieux où « se distinguent encore les trous creusés dans le mur par les balles en un espace restreint indiquant bien la silhouette d’un homme, mais d’un seul ».

Quant à Clemenceau, il aurait, malgré la bousculade, réussi à sauver la vie des officiers amenés avec Lecomte. Il aurait aussi déclaré : « la Commune, ce n’en est pas moins la Révolution ». Effectivement, ce jour-là la Commune est née.

Des comités de vigilance se créent. Louise Michel et Ferré dirigent celui du 18ème. L’État-Major de la Commune ne saura, ou ne pourra pas, coordonner les initiatives individuelles de cette révolution sanglante, romantique dira Lénine, qui aura trop de martyrs. Cependant, l’esprit et l’âme du 18ème en seront issus.

Alphonse Daudet qui vécut près du passage de l’Élysée-des-Beaux-Arts avec Marie Rieux, modèle de Sapho, décrira un tableau de Montmartre dans ses Contes du Lundi :

Ici les insurgés sont chez eux et, en dépit des canons et des barricades, on sent planer sur leur révolte je ne sais quoi de libre, de paisible et de familial…

Louise Michel citera parmi ces martyrs ce « Breton aux cheveux blonds et aux yeux bleus, trapu, les épaules carrées… » et celui qui tomba dans le cimetière de Mont­martre, « par une nuit embaumée du parfum des fleurs, tué par un obus qui, traversant les branches, couvrit de pétales la tombe des insurgés ».

La guerre civile déploie son cortège d’horreurs. Aussi le courage, la générosité, la grandeur, la beauté que même les adversaires de la Commune ne pouvaient s’empêcher de reconnaître et d’admirer. Des postes de commandement s’improvisent : au Château-Rouge, quartier général de la Garde nationale, commandé par le directeur de théâtre Simon Mayer ; au moulin de la Galette et à l’Elysée­-Montmartre qui deviendra hôpital, mouroir, morgue. La valse des jupons avait fait place ici, l’année précédente, à un « atelier aérostatique pour la fabrication des ballons poste » dira Théophile Gautier dans ses Tableaux du Siège publiés en 1871. La Butte est devenu un véritable camp retranché décrit dans le contemporain Journal de Fidus, cité par Georges Renault et Henri Chateau :

Sur un étroit plateau que forme la montagne, les émeutiers ont établi leur parc d’artillerie, ou plutôt leur camp retranché ; tout le long de la crête, ils ont élevé un mur de terre, véritable parapet de rempart ; derrière le mur un fossé et, au-delà du fossé rangé leurs canons… (qui) dominent tout Paris… en arrière de ce camp retran­ché et de ce plateau, la colline se redresse comme un second mur plus escarpé encore… C’était une organisa­tion complète, un homme expérimenté avait dirigé ces tra­vaux… Personne ne les inquiète, ne les trouble ; ils sont chez eux, dans leur ville, il semble qu’ils soient séparés de Paris, ils font ce qu’il leur plaît… (Ils) ne manquent pas de munitions, samedi 11 mars les gardes nationaux ont pris, aux Gobelins seulement, seize millions de cartouches !

Jusqu’au 21 avril, les Communards seront maîtres de Paris. Le 10 mai, en protestation du bombardement de Paris par les Versaillais, la Commune démolit l’hôtel par­ticulier de Thiers, chef du pouvoir exécutif de la Républi­que (Place Saint-Georges, 9ème). Cette forteresse va pour­tant tomber sous l’assaut des deux corps d’armée de Mac-Mahon et de leur mouvement tournant par les rues Lepic, Marcadet et Clignancourt. Ces soldats une fois rendus maîtres de la place, c’est la répression féroce et systématique avec la mise en place sur la Butte de huit abattoirs. Dans ses Souvenirs de la Commune, Louise Michel écrira :

Les Batignolles, Montmartre étaient pris, tout se changeait en abattoir, l’Elysée-Montmartre regorgeait de cadavres. Alors s’allumèrent comme des torches les Tuile­ries, le conseil d’État, la Légion d’Honneur, la Cour des Comptes…

Pendant quatre jours, depuis le 23 mai, la boucherie va se poursuivre. En grande partie dirigée par Galliffet dont l’arrivée est encore narrée par Louise Michel :

Voici l’homme rouge qui passe. Tout à coup arrive un État-major à cheval. Celui qui commande est un homme assez gros, au visage régulier, mais dont les yeux pleins de fureur semblent jaillir au dehors. La face est pourpre comme si le sang répandu y eût jailli pour la mar­quer, son cheval magnifique se tient immobile, on le dirait en bronze. Alors très droit sur son cheval il met ses poings sur ses côtes en un geste de défi et commence, placé devant les prisonniers :

— C’est moi qui suis Galliffet ! Vous me croyez bien cruel, gens de Montmartre, je le suis plus encore que vous ne pensez.

Lorsqu’il s’adresse à ses soldats, c’est la fureur sanguinaire.

— Tirez dans le tas, crie Galliffet furieux. Les sol­dats gorgés de sang, lassés d’abattre, le regardent comme en un rêve, sans bouger…

Tout quartier pris par Versailles était changé en abat­toir. La rage du sang était si grande que les Versaillais tuaient de leurs propres agents allant à leur rencontre.

Parmi les victimes, Louis-Eugène Varlin, ouvrier relieur et fondateur de la Première Internationale, ex-délégué aux Finances, subit un long martyre avant d’être abattu par une rafale de balles à l’angle de la rue des Rosiers et de la rue de la Bonne au cri de « Vive la Répu­blique, Vive la Commune ! » (28 mai).

A quel moment Jean-Baptiste Clément, ce doux poète, succéda-t-il à Georges Clemenceau comme maire du 18ème ?

Clément rentre dans la mêlée sociale en 1868. Jusque-là, il était plutôt conformiste et écrivait, pour le café-concert, en collaboration avec le compositeur Joseph Darcier quelques chansons qu’interprète notamment Thé­résa, alors très populaire. Il n’en tire que de maigres pro­fits et les éditeurs de « papiers » ne sont pas généreux. En 1867, il gagne Bruxelles avec deux œuvres en poche écrites l’année précédente. Il est hébergé par son ami Antoine Renard, compositeur chef d’orchestre et directeur de l’opéra de Bruxelles. Un soir d’hiver, la légende connue repose sur des faits réels — la réalité dépasse la fiction —, Jean-Baptiste Clément doit se déplacer. Pour aller où ? Qu’importe. Il fait froid et il n’a pas de manteau.

  • Prends le mien, lui dit Antoine.
  • Quand pourrai-je te le rendre ?
  • Garde-le.

Sortant de sa poche ses deux chansons, il les donne à Antoine Renard qui en écrira la musique. Il s’agit de Connais-tu l’amour et du Temps des Cerises qui sera édité chez Egrot, boulevard de Strasbourg, en 1868. Jean-Baptiste Clément revendra le manteau en disant « c’est tout ce que le Temps des Cerises m’a rapporté ».

Ce ne sera que beaucoup plus tard, lorsque Clemen­ceau aura obtenu le retour des proscrits, que le Temps des Cerises prendra son nouveau sens jusqu’à accompagner Zola au cimetière du Nord. En 1885 seulement, Jean-Baptiste va le dédier « à la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le diman­che 28 mai 1871 ». Cette chanson va devenir, outre le chant d’amour que l’on sait, une sorte d’hymne national de Montmartre et celui de la Commune libre. Tandis qu’un autre chant, séditieux, dont les interprètes étaient poursuivis, sera « récupéré » par le pouvoir : la Marseil­laise est toujours notre hymne national ! Mais qui se sou­vient que l’auteur du Temps des Cerises est aussi celui d’une Carmagnole ?

 

Extrait de Paris 18° arrondissement historique et pittoresque – Michel Dansel éditeur – 1985.