Le poème de Marielle pour le ban des Vendanges 2019

LES COULEURS

Monsieur Ie Maire du XVIIIème arrondissement, mon estimé homologue,
Monsieur Ie Président de la République de Montmartre,
Monsieur le Président de la Commune Libre de Montmartre,
Mesdames et Messieurs les Présidents des associations montmartroises audacieuses et intrépides,
et des courageuses associations non-montmartroises ici représentées,
Légendairissimes et immortellissimes Grands maîtres de Confréries vineuses et gastronomiques ici costumées,
Mon garde-champêtre,
Mon amiral,
Mon général,
Ma soeur,
En ce lieu – qui momentanément est un territoire autonome soustrait à la Direction des Parcs et Jardins – je vous nomme donc Citoyennes et Citoyens !
Les contes d’autrefois nous parlent de citrouille,
De belles endormies auprès de leur quenouille :
Les contes d’aujourd’hui sont choisis par I’aïeul
Pour les dire aux poulbots le soir au coin d’Apple.
Un amateur de drone et friand d’aventure
Et disciple assidu de Yann Arthus-Bertrand,
S’essaie à mettre en vol un drone à bout portant
Lesté de caméras précises miniatures.

II envoie au-dessus de Montmartre I’engin :
L’église devient jouet, le Sacré Cæur décor.
Les peintres de la place, allez venez Milord,
Deviennent rétrécis comme de vrais gamins.
Un point vert : c’est ici le lopin de nos Vignes,
Timbre-poste plutôt, minuscule et rustique.
Le drone tourne autour du carré bucolieu€,
La caméra transmet sagement les consignes.
Et soudain un insecte au milieu du pré vert,
Bicorne et blouse bleue, déclamant du Dimey,
Un peu de Baudelaire et un peu d’Hugu’Aufray,
Observe dans son ciel ce gris coléoptère.
Un rang de coccinelles au dessin mystérieux,
Cigales de tambour résonnant avec joie,
Et d’étranges couleurs de tous noms, lieux et fois
Demeurent face au truc, droits debout dans les pieux.
Rentrés déboussolés, le pilote et sa bête !
Il questionne plus tard le peintre-photographe :
.< Ce point vert est un champ omis des géographes,
Il n’est pas grand, je sais, mais pour nous, les poètes,
C’est au-delà des vins, du cépage et des mondes.
Tu crois que ta machine embrasse les espaces :
La beauté d’ici est invisible et fugace.
Je I’aimais vu du ciel : aujourd’hui sa profonde
Allégresse emmène les mille Confréries
De France et de Navarre aux dix mille couleurs.
Ton drone n’a pas vu les artistes tailleurs
Qui ont élaboré ces mille broderies.

Les couleurs dans le CIos sont des coquelicots
Et les raisins coupés par Sophie Mounicot
Répandront dans Paris I’ivresse fraternelle,
Et vous, vous reviendrez dans vos lointains villages,
Racontant cette fable auprès des enfants sages
Pour rêver de robots, de photos, de pixels.

Marielle Frédérique Turpaud
Cinquième Maire de la Commune Libre de Montmartre (1920)

© MFT et CLM